La croyance philosophique et les droits transgenres

La croyance philosophique et les droits transgenres


Mr Mackereth, un docteur qui travaillait pour le Department for Work and Pensions (le Ministère du Travail anglais), croit que l’on ne peut pas changer de sexe, et il refusait donc d’adresser les personnes transgenres par leur pronom préféré au travail. Cette croyance était basée sur sa foi chrétienne et certains passages de la Bible. Ceci enfreignait la politique de son employeur, qui demandait aux salariés de respecter les droits et la dignité des personnes transgenres.

Mr Mackereth quitta son poste (il affirme qu’il fut licencié ; l’employeur dit qu’il a démissionné), et a saisi le conseil de prud’hommes (le CPH) arguant que ceci relevait de la discrimination par raison de croyance philosophique. Pour bénéficier de la protection de la loi antidiscriminatoire anglaise, une croyance philosophique doit : (i) être authentique ; (ii) être une croyance et non pas une opinion ou un point de vue basé sur les informations disponibles ; (iii) se rapporter à un aspect essentiel de la vie et du comportement humain ; (iv) avoir un certain niveau de puissance, de sérieux, de cohésion, et d’importance ; et (v) être digne de respect dans une société démocratique, et ne pas enfreindre les critères de dignité humaine ni les droits d’autrui. Le conseil de prud’hommes décida que la croyance de Mr Mackereth n’était pas protégée par la loi anglaise parce qu’elle ne répondait pas aux critères (ii), (iii), (iv), et (v).

Cependant, après la publication de cet arrêt, la cour d’appel du CPH rendit une décision dans l’affaire médiatisée Forstater stipulant que la croyance philosophique en opposition aux droits transgenres était protégée par la loi antidiscriminatoire anglaise. L’affaire de Mr Mackereth monta donc aussi à la cour d’appel du CPH.

Dans un arrêt rendu la semaine dernière, la cour d’appel fit référence à Forstater et décida que la croyance de Mr Mackereth répondait donc aux critères d’une croyance philosophique protégée en Angleterre.  

En revanche, la cour a dit que l’employeur n’avait pas fait preuve de discrimination à l’égard de Mr Mackereth en rapport avec sa croyance philosophique. L’employeur aurait traité tout autre salarié qui refuserait d’utiliser le pronom préféré d’une personne transgenre au travail de la même façon, quel que soit la raison pour ce refus (croyance ou autre). Il n’y eu donc pas de discrimination ou harcèlement directs. En ce qui concerne la discrimination indirecte, la cour décida que la politique de l’employeur exigeant que leurs salariés utilisent les prénoms préférés des personnes transgenres était une mesure proportionnelle pour parvenir à un but légitime ; la discrimination indirecte était donc justifiée.

Mr Mackereth est bien sûr déçu de ce résultat, et il dit qu’il fera appel à la Cour d’Appel (qui est au-dessus de la cour d’appel du CPH).

Hier, un nouvel arrêt du CPH dans l’affaire Forstater fut rendu. Le CPH dit maintenant que la décision de l’employeur de ne pas renouveler le contrat de la demandeuse par raison de ses Tweets reflétant sa croyance philosophique était en effet un acte de discrimination directe. La cour rejeta plusieurs autres arguments de la demandeuse, notamment en rapport avec la discrimination indirecte.

Voici donc deux autres décisions de la cour anglaise qui reconnaissent une croyance contre les intérêts transgenres comme « croyance philosophique » protégée par la loi antidiscriminatoire. Ceci aura sans doute un effet sur la prochaine décision judiciaire à ce sujet, l’affaire d’Allison Bailey, avocate et amie de J.K. Rowling qui poursuit en justice son cabinet et l’organisation caritative LGBTQ Stonewall pour discrimination. Si cette troisième affaire va dans le même sens que les autres, la jurisprudence aura effectivement établi la protection de cette croyance par le droit du travail anglais.

Les employeurs avec des salariés en Angleterre se trouvent donc dans une position délicate : ils doivent éviter tout acte et politique discriminatoire envers les personnes transgenres mais aussi envers les personnes aux croyances philosophiques opposés à certains intérêts de ces mêmes personnes transgenres. Tous deux sont désormais des caractéristiques protégées par la loi antidiscriminatoire anglaise.

Face à un tel dilemme, les employeurs devront analyser chaque situation précise, par exemple le rôle de la personne avec cette croyance philosophique, l’effet de la croyance sur les personnes transgenres au travail, etc., et décider de la meilleure solution. Par exemple, dans le cas de Mr Mackereth, l’employeur aurait pu lui demander d’utiliser les prénoms des personnes transgenres au lieu de pronoms – mais il est possible que même ceci aurait eu un effet négatif sur une personne transgenre qui le remarquerait. Lorsqu’il n’y a aucune autre solution adéquate, il sera parfois nécessaire de garder en place une politique discriminatoire envers une caractéristique protégée pour éviter la discrimination envers l’autre (tant que cette politique est justifiée) comme l’a fait l’employeur dans l’affaire de Mr Mackereth. Bien sûr, cette solution ne s’applique pas à la discrimination directe, qui ne peut pas être justifiée sous la loi anglaise (sauf en cas de discrimination par raison d’âge). Si Mr Mackereth gagne à la Cour d’Appel, la situation des employeurs deviendrait alors encore plus complexe.